La tension entre les tendances à long terme et les défis à court terme s’est avérée être le fil conducteur du cinquième RetailDetail Food Congress. À souligner : les intervenants ont non seulement partagé leurs succès mais aussi, et surtout, leurs questions et leurs défis.
« Nous sommes (aussi éthiques que) ce que nous mangeons »
« En tant que consultant, on ne mange souvent pas de façon saine. Jusqu’à il y a six ans, je mangeais beaucoup de fast-food, pour gagner du temps », a confié en toute honnêteté Sean Lestipoudois, de Deloitte. Il a ainsi d’emblée donné le ton pour le reste de la journée : de nombreux intervenants se sont montrés inhabituellement ouverts et transparents quant aux goulets d’étranglement et aux obstacles auxquels ils sont confrontés. Assez rafraîchissant.
« Le secteur alimentaire est le premier employeur au monde, mais de nombreux agriculteurs ne bénéficient pas de la moindre protection sociale. Le système alimentaire est autodestructeur », avons-nous appris. Et aussi : « Les Belges ne veulent pas payer plus pour des aliments durables, mais pour des aliments produits localement. Ils attendent de la commodité sans culpabilité. C’est là que se trouvent les opportunités. Nous sommes (aussi éthiques que) ce que nous mangeons. »
« Qu’allons-nous arrêter ? »
La différenciation est un exercice difficile dans le commerce de détail : tout le monde copie sur tout le monde. Ces dernières années, Delhaize a mis l’accent avec succès sur la santé, sous la devise : mieux manger, mieux vivre. Mais nous sommes en 2022 et le réveil est brutal : le comportement des consommateurs change radicalement, constate Jonathan Hertog. Les consommateurs surveillent plus que jamais leur budget, les marques de distributeurs et les discounters font leur grand retour. Les prix d’achat augmentent, les prix de vente sont sous pression, les détaillants alimentaires sont dans une situation délicate.
Comment Delhaize fait-il face à cette situation ? « Ce qui est crucial, c’est de comprendre ce qui motive ce changement de comportement. Nous devons faire des choix : quel est notre ADN et qu’allons-nous arrêter dès maintenant ? » Quoi qu’il en soit, Delhaize continue de miser sur le commerce électronique. Parce que les clients omnicanaux sont des clients fidèles et précieux.
« La tête dans les nuages, les pieds sur terre »
« Nous construisons un avion pendant que nous sommes en vol. Un exercice difficile, mais également agréable. » Aujourd’hui, diriger signifie plus que jamais gérer les paradoxes, déclare An Vermeulen, de Coca-Cola Europacific Partners. Par exemple : « Les consommateurs disent qu’ils privilégient la personnalisation, la durabilité et la santé. Mais en réalité, ils achètent pour le goût, le prix et la commodité. Nous introduisons désormais moins d’innovations, mais des innovations plus importantes, sur nos marques les plus connues. »
Coca-Cola mise sur les données et la numérisation, mais doit parallèlement trouver des chauffeurs et des palettes pour acheminer les canettes jusqu’aux clients. « Nous devons investir tant dans les personnes que dans la technologie. L’IA, pour moi, c’est de l’additional intelligence. »
Elle conclut avec l’histoire des aveugles et de l’éléphant : l’aveugle qui touche le torse dit : « C’est un mur ». Un autre touche la trompe et dit : « Non, ça ressemble à un serpent. » Un autre touche la patte et dit : « On dirait un arbre. » Et ainsi de suite. Conclusion ? « Changez la conversation. Posez les questions qui dérangent. Qu’est-ce que je ne vois pas ? Et surtout, qu’est-ce que je ne veux pas voir ? »
« Les substituts de viande ne doivent pas ressembler à de la viande »
Garden Gourmet, la marque végétale de Nestlé, n’a pas été pensée à l’origine pour les végétariens mais trouve ses racines dans la cuisine du Moyen-Orient, explique Arthur Duquesne, de la Vinelle. Les substituts de viande ne doivent pas nécessairement ressembler à de la viande : le falafel est encore aujourd’hui l’un des piliers de la gamme.
La durabilité est au centre des préoccupations de la marque. « Les prochaines années sont cruciales pour le changement climatique. Garden Gourmet est ‘sustainable by design’. Nous atteindrons la neutralité carbone cette année. » Pour lui, le soja n’est pas un ingrédient controversé : « Les consommateurs ignorent que le soja destiné à la consommation humaine provient essentiellement d’Europe. Tout comme ils ignorent que les edamames qu’ils dégustent à l’apéritif sont des graines de soja. »
Nestlé mise sur l’agriculture régénératrice, qui aura un impact considérable. Mais cela prend du temps : le sol européen est endommagé. Et une prédiction pour conclure : d’ici à 2040, le marché sera composé de 40 % de viande conventionnelle, 35 % de viande végétale et 25 % de viande de culture.
« Les grillons sont de petits cochons »
« Chaque euro que nous dépensons en nourriture en coûte deux à la société », explique Michiel Van Meervenne, co-fondateur de Kriket. Les insectes font partie de la solution : ils offrent le meilleur des deux mondes. Ils présentent une valeur nutritionnelle impressionnante, tout en étant une source durable de protéines. « Les grillons sont de petits cochons. Ils recyclent les déchets alimentaires. Nous testons comment nous pouvons utiliser les restes de pain des magasins Colruyt comme nourriture pour les grillons. » Kriket a notamment trouvé un partenaire de croissance dans Colruyt Group.
Il s’avère que 34 % des consommateurs ont déjà goûté aux insectes, et près de 76 % y sont ouverts. Mais ils préfèrent que ces bestioles passent inaperçues dans le produit. C’est pourquoi Kriket fabrique des barres et du granola à partir de poudre de grillons. « Si nous voulons avoir un impact, il faut viser la normalisation. Mais nous vendons aussi des grillons entiers, grillés au four, pour les gourmets. »
« Leonardi di Caprio y croit »
Appelez-la viande cultivée ou viande de culture, mais de préférence pas viande de laboratoire : le produit ne provient pas de laboratoires, il est fabriqué dans des bioréacteurs. Le processus de production est similaire à celui d’une brasserie, explique Martijn Everts, de Mosa Meat. L’entreprise se concentre sur la viande bovine, car c’est là que les gains climatiques les plus importants peuvent être réalisés. La viande bovine est également chère et difficile à produire.
Plus d’une centaine d’entreprises sont déjà actives dans le secteur de la viande de culture. À Singapour et en Israël, des produits sont même déjà commercialisés, bien qu’à petite échelle. « Les consommateurs sont ouverts à cette idée, surtout les jeunes citadins. Les vrais mangeurs de viande sont également favorables. Nous en sommes actuellement au processus d’approbation. Nous ne nous lancerons pas immédiatement dans la distribution : nous n’avons pas encore l’envergure nécessaire. Nous pensons plutôt commencer dans des restaurants de prestige, en collaboration avec des chefs. » Mosa Meat a récemment accueilli un nouvel investisseur de renom, qui est nul autre que Leonardo Di Caprio.
« Le consommateur répond à 5 moteurs »
Plaisir, commodité, argent, santé et conscience : voilà ce qui pousse les consommateurs à acheter des produits alimentaires, selon une étude commandée par VLAM. Le comportement humain est parfois remarquable, déclare le réalisateur Filip Fontaine : « Notre site de recettes biendecheznous.be a accueilli plus de 150 000 visiteurs en une journée le 24 décembre. Bizarre, non ? Et ils recherchent des recettes simples, des plats de base réconfortants.
Depuis la levée des mesures de confinement, les consommateurs vont à nouveau au restaurant. Ils n’achètent plus chez l’agriculteur mais retournent au supermarché. Une question de commodité. Et le prix ? Les consommateurs sont encore prêts à payer pour la qualité, pas pour la durabilité. « Même avec une grande différence de prix entre le blanc de poulet brésilien et belge, 85 % préfèrent le produit local. Les consommateurs affichent un grand respect pour les agriculteurs. En matière d’alimentation, nous sommes chauvins. »
Interrogés sur leurs intentions, les consommateurs disent vouloir gaspiller moins de nourriture. Et cela profitera également à leur portemonnaie.
« Rendre la durabilité sexy »
Le supermarché en ligne sans emballages Pieter Pot commercialise actuellement 550 références. Uniquement des produits de longue conservation pour l’instant, mais cela doit changer, selon Puck Schaaphok, qui représente à elle seule la division belge. « Sans produits frais ou laitiers, il est difficile de se qualifier de supermarché. Nous avons récemment ajouté l’alcool aux Pays-Bas. »
Pieter Pot veut faire de la durabilité l’option sexy et suit les traces de marques branchées comme Tesla, Tony’s Chocolonely ou De Vegetarische Slager. L’approche est celle de la « e-commodité ».
Cependant, le supermarché en ligne est confronté à des défis logistiques et financiers. « Nous apprenons de nos erreurs », a-t-on entendu. Puck s’est fait un plaisir de nous donner un aperçu des chiffres. En Flandre, la start-up traite 400 commandes par semaine d’un montant moyen de 80 euros, caution comprise. Pour devenir rentable à l’échelle du Benelux, le nombre de commandes doit passer de 15 000 à 50 000. Et les coûts doivent baisser. En préparation : un nouveau pot, plus léger et empilable, une nouvelle application et un nouvel emplacement pour rassembler toutes les opérations. On pouvait lire le doute dans les yeux écarquillés du public : comment diable vont-ils y parvenir ?
Un orateur a été contraint de faire figure d’absent : Gorillas quitte le marché belge, Jelle Nyssen est donc resté à Amsterdam. Prochain rendez-vous : le RetailDetail Day, le 22 septembre. À bientôt ?